Page 6

SES ŒUVRES (1905-1929) ~ PARTIE 1

Avance et jette le filet lui dit Jésus... (Luc 5, 4).

À SAINT-EUSÈBE DE TÉMISCOUATA

C'est moi qui vous ai choisis du milieu du monde, pour que vous alliez, que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure (Jn.16,10)

Saint-Eusèbe est un territoire détaché de la paroisse de Notre-Dame du Lac, dans le comté de Témiscouata, diocèse de Rimouski.

De 1882 à 1886, cette mission fut desservie par M. le Curé de Notre-Dame du Lac. M. l'abbé J.-Ferdinand Audet fut le premier missionnaire résidant. Arrivé le 7 octobre 1886, il y demeura jusqu'au 30 mars 1888.

Le coeur des gens est grand, écrit-il, mais les moyens sont restreints. La mort dans l'âme, ce brave pasteur se voit contraint de fermer la chapelle et va exercer son ministère dans une autre paroisse. La Mission restera fermée pendant 13 ans et de nouveau les colons de St-Eusèbe auront recours aux bons offices du curé de Notre-Dame du Lac.

Au cours de cette période, plusieurs requêtes ont été adressée à Mgr André Albert Blais, deuxième évêque du diocèse de Rimouski. Le 28 août 1901, M. l'abbé Ernest Gagnon vient prend., charge de la Desserte de St-Eusèbe. Après quatre ans de rude labeur, en septembre 1905, Messire Gagnon est nommé desserv de Cabano.l Il est remplacé par M. l'abbé Alexandre Bouillon.

La relation de l'Album Souvenir du Cinquantenaire de cette paroisse nous décrit le travail accompli dans ce milieu par le nouveau et zélé pasteur.

L'année 1905 peut porter à juste titre le nom de la "préparation ", parce que ce fut réellement l'année de la préparation à l'érection canonique de la paroisse. Le vide causé par le départ du Révérend Ernest Gagnon en septembre 1905 fut vite rempli par la nomination de Messire Alexandre Bouillon à la desserte de St-Eusèbe de Cabano. D'une santé qui semblait plutôt délicate, le nouveau desservant laissera tout de même une marque profonde dans St-Eusèbe.

D'une piété et d'un surnaturel peu communs, il commencera à jeter les bases d'une solide organisation de l'Apostolat de la Prière, afin de conjuguer les efforts de tous ses paroissiens pour obtenir le triomphe de la vertu et la disparition du vice. Il ira jusqu'à solliciter de Monseigneur Blais, évêque de Rimouski, le privilège de faire l'exposition du Très Saint Sacrement à la messe du Premier Vendredi du mois, pour "demander l'extirpation des vices de l'intempérance et du blasphème, la conversion des pécheurs et la persévérance des justes. " Cette permission lui fut accordée et il y a lieu de croire que cette pratique s'est généralisée dans le diocèse, grâce à cette inspiration d'une âme toute vouée au service du bon Dieu. Sa piété lui dictera une grande dévotion à la Sainte Vierge et il instituera la Procession du Rosaire le premier dimanche du mois, en l'honneur de cette " bonne maman du Ciel qui veut le bonheur de ses chers enfants ". Nous retrouvons dans ses prônes ces exhortations souvent répétées, auprès de ses ouailles, les invitant à dire chaque jour trois Ave, trois Gloria " pour la conversion des pécheurs. "

Pour donner plus d'ampleur aux cérémonies liturgiques, il organise une chorale qu'il dirige lui-même " de la balustrade". Pendant les Quarante-Heures, parce qu'il y a pénurie de confrères, il passera des heures au confessionnal pour absoudre et " faire de la direction". II ne regarde ni ses peines, ni son temps; il est l'Homme de Dieu, au service des âmes, pour les conduire " au service de Dieu".

Cet homme d'intérieur n'en est pas moins actif pour améliorer le sort des colons. II développe l'école du soir; multipliant les démarches pour obtenir le bureau de poste et le téléphone, il veut procurer à " ses enfants" les moyens de communication qui leur permettront de rester fixés chez eux», en éloignant les dangers de l'ennui dans une trop grande solitude. Pour apporter un peu de revenus à ses gens, il secondera de tous ses efforts l'installation d'une fromagerie qu'il aura le bonheur de bénir le 10 juin 1906, (il y a 50 ans)... Il réussit à recueillir une centaine de volumes qui lui permettront de fonder une bibliothèque paroissiale. Il s'emploie à développer la colonisation afin d'assurer, non seulement la survivance de la Mission de St-Eusèbe, mais aussi un développement intensif qui en fera une belle paroisse agricole.

Devant tant de progrès accomplis en si peu de temps, Sa Grandeur Monseigneur Blais ne peut rester sourd à la requête d'érection canonique de la paroisse, le 26 août 1906.

Monsieur Bouillon ira exercer sa prodigieuse activité dans un nouveau champ d'apostolat. Il quitte la paroisse le 30 septembre 1906.

A LAC-AU-SAUMON

Le poète français Zidler, visitant notre province il y a quelques années, disait avec infiniment de justesse:

La paroisse canadienne, c'est le sanctuaire inviolable où le canadien français abrite son idéale patrie avec ce que ses pères lui ont légué de plus précieux, sa langue, sa croyance religieuse et ses coutumes. Aussi, toute paroisse qui s'ouvre dans les terres neuves de la Province de Québec est considérée comme une victoire française, et tout fondateur de paroisse est considéré comme un grand patriote.

SITE DE LA PAROISSE

Lac-au-Saumon est une paroisse située dans la belle vallée de Matapédia à environ deux cents milles de Quél Son nom lui vient de ce que le « saumon» venait frayer dans ses eaux paisibles, mais l'emplacement de scieries le bord du lac fit songer à ces gentils poissons de qu ailleurs un endroit plus tranquille.

Son village se niche discrètement dans le site m tagneux de ce « Val Matapédien » où la route sinueuse épouse les contours d'une rivière encaissée dont le flot s'argente au passage des « Rapidos » du Canadien National.

Ses eaux calmes, encadrées d'un relief sauvage, fav sent la détente. Sa nature riante et placide, ses eaux p sonneuses lui donnent un aspect des plus enchanteurs. rives plantées de hauts sapins s'agrémentent d'une jolie plage. Présentement si tel est le paysage qui se révèle spectateurs, tel n'était pas celui qui s'offrait aux regards dans les années 1885-1900.

Saint-Edmond, titulaire de la paroisse, lui fut donné en l'honneur de Monseigneur Edmond Langevin, frère et grand vicaire de Monseigneur Jean Langevin, premier évêque du diocèse de Rimouski.

PREMIERS PIONNIERS

Le premier pionnier, M. Elzéar Michaud, arriva le 2 avril 1885, à travers la forêt, après avoir, en canot, traversé la rivière Matapédia, prendre le lot de terre ne 40 du troisième rang, du canton Humqui. (...) Les colons de la future paroisse de Saint-Edmond du Lac-au-Saumon firent montre d'un grand courage et d'une grande confiance en Dieu; car pour la plupart, pour toute ressource, ils n'apportaient que leur foi, leur endurance et une bonne santé.

CÉLÉBRATIONS EUCHARISTIQUES

La première messe dans cette mission fut célébrée à l'Ecole du rang III, en mars 1900, par M. le Curé d'Auteuil Amqui.

La première messe chantée fut célébrée le 10 août 1901, ar IVI. l'abbé Alexandre Bouillon, vicaire à Amqui, à qui on avait confié l'organisation des dessertes de Lac-au-Saumon et de Saint-Léon-le-Grand.

HÉBERGEMENT DU PREMIER MISSIONNAIRE

L'Abbé Alexandre Bouillon, premier missionnaire, raconte dans son volume Au Grand jour ou Les Évolutions l'une Paroisse Canadienne, ses contacts avec les colonisateurs.

Pendant son séjour à Saint-Edmond, le missionnaire demeurait chez M. Nazaire Richard, à 13 arpents de l'école-chapelle. Dame Pauvreté semblait trôner en reine dans la jeune mission; aussi le nécessaire faisait-il souvent défaut, cependant la joie d'avoir un prêtre au milieu d'eux, faisait faire l'impossible aux colons pour bien recevoir le missionnaire. Malgré tout, la misère était si grande et l'occasion de se priver si fréquente, que nous lisons dans les notes intimes du missionnaires le 12 mars 1902: « Je n'ai jamais connu la misère; aujourd'hui, mon Dieu, vous me l'avez fait toucher du doigt». Toutefois, «l'homme ne vit pas seulement de pain»; et la consolation de rencontrer une si franche amitié faisait tout accepter de bon coeur.

Le soir, il y avait rendez-vous chez le père Richard; et, après une causerie, on apprenait à solfier, à connaître les clefs, les notes, à distinguer les dièses d'avec les bémols, et à feuilleter convenablement, pour y trouver l'office du jour, de vieux paroissiens aux pages maculées par l'usage. L'on y mit tant de bonne volonté, que messieurs joseph Poirier, Laurent Cormier, et quelques autres purent, le dimanche 10 août 1903, rendre assez bien la messe du second ton (...).

Après avoir célébré, catéchisé et dialogué avec les vaillants défricheurs de cette paroisse en germe, l'abbé Bouillon retournait à son poste, vicaire à Amqui.

NOUVEAU CHAMP D'ACTION

Septembre 1902 apporte au « Pauvre de Yahweh » une nouvelle nomination. Il quitte donc Amqui pour se « rendre à Grande-Rivière, au comté de Gaspé, aider le curé malade ».

Deux épreuves particulières marquent son séjour en ce lieu: le 8 octobre le départ pour la Maison du Père de sa très aimée maman. Ces lignes tracées de sa main nous révèlent les sentiments douloureux qui l'étreignent lors de cet événement.

(...) O ma mère! je bénis la main de Dieu qui nous a frappés; je le bénis de votre bonheur; mais que je plains ceux qui vous ont perdue! O ma mère, je n'ai de consolation qu'en pensant à vous. Il me semble vous voir encore. Il n'y a pas de jour que votre image ne se présente à mon esprit; si j'étais peintre, que je la rendrais bien au naturel! O précieux modèle, je voudrais surtout retracer vos vertus et en faire des copies vivantesl Dans la douleur de vous avoir perdue, je cherche ma consolation au pied du crucifix que j'ai hérité de vous: et, considérant ce sacré côté ouvert pour l'amour de nous, je crois être auprès de vous, et que vous le considérez avec moi. D'autres fois je vous contemple toute brillante de gloire dans le ciel et au comble du bonheur avec Jésus, Marie et Joseph que vous avez tant aimés sur la terre, tandis que votre fils est loin de vous dans cette vallée de misères. Mais il me semble aussi que du séjour que vous habitez, vous me tendez la main. J'ai confiance en votre tendresse, ô ma mère: je vous invoquerai souvent; je vous conjurerai d'intercéder dans le ciel pour ceux que vous avez aimés et laissés sur la terre. (...)

La seconde épreuve marquant cet épisode est l'incendie du presbytère de Grande-Rivière, le 6 décembre 1902, dans lequel le feu consuma tout son avoir.

MISSIONNAIRES À LAC-AU-SAUMON

Pendant les années qui suivirent le départ de M. Bouillon, la mission de Lac-au-Saumon fut desservie par de fervents prêtres qui, grâce à leurs vertus héroïques, préparèrent la venue du premier missionnaire résidant.

Le ler septembre 1902, M. l'abbé Emile Sirois, préfet des études au Séminaire de Rimouski, était nommé vicaire à Amqui. II continua l'oeuvre si bien commencé par son prédécesseur. Le 18 août 1903, il est nommé aux TroisPistoles. Ce jour même, Messire Stanislas Roy, reçoit ses lettres de créances pour le vicariat d'Amqui.

Ce dernier fut, après M. le Curé d'Auteuil, celui qui fit le plus long séjour à Amqui. Il s'était attaché à la mission de Saint-Edmond et le jour où il dut la quitter, lui fut bien pénible. De cette desserte, il s'était fait comme une paroisse dont il était le curé et il se sentait chez lui lorsqu'il se trouvait au milieu de ses bons colons. (...) Messire Roy continua de venir régulièrement à la mission jusqu'au 1er octobre 1905, date où il dut la quitter pour Grande-Vallée, comté de Gaspé, où il venait d'être nommé curé.

De très intéressants détails sur la vie laborieuse de ces missionnaires sont insérés dans les « Evolutions d'une paroisse canadienne », Lac-au-Saumon, par M. le Curé Bouillon. Ils nous donnent le coloris de cette époque.

Le 26 septembre 1905, Messire J.-L. Perron, vicaire à Notre-Dame-du-Lac, au comté de Témiscouata, recevait ses lettres de vicaire à Amqui où il arriva le 1octobre suivant. Comme ce bon prêtre avait plus de dévouement que de santé, il ne put tenir que jusqu'au 2 décembre de la même année, et se retira dans sa famille, à Matane, où il mourut l'année suivante, victime de phtisie pulmonaire. L'auteur de ces lignes, (l'Abbé Bouillon), se rappelle l'avoir rencontré à Notre-Dame-du-Lac, quelques jours avant son départ pour Amqui. Aux félicitations qu'il lui adressait il répondit: « Monseigneur me croit plus fort que je ne suis; mais puisqu'il le faut, allons-y». Cet abandon à la volonté de son évêque met bien à nu l'âme vraiment sacerdotale de ce saint prêtre; et les quelques mois passés dans son nouveau vicariat, comme aussi au service de la desserte des deux missions qui lui étaient confiées, n'ont fait que confirmer davantage la bonne renommée qu'il s'était acquise. Que le bon Dieu l'ait en sa sainte garde!" (...) Depuis le départ de Messire Perron du vicariat d'Amqui, Monseigneur s'était efforcé de trouver un sujet capable de porter le lourd fardeau de la desserte des deux missions attachées à ce vicariat, et déjà assez populeuses. Le Il janvier 1906, Messire J: G. Plourde arrivait à Amqui, et le 14 du même mois, il donnait sa première mission à Saint-Edmond. Comme l'avait fait Messire Roy, il continua à coucher dans le haut de l'école et à prendre ses repas chez M. Pierre Turbide.

Messire Plourde, au temps voulu, visita régulièrement sa desserte, et c'est tout. Mais completi sunt dies, et l'heure approchait où le « rameau allait être détaché de l'arbre ». Les compagnies Price et Fenderson, qui avaient leurs scieries le long de la rivière Humqui, dans les limites de la paroisse d'Amqui, à la suite d'un incendie, en 1905, transportaient tout le mécanisme utilisable sur les bords de Lac-au-Saumon, dans le but d'y installer leurs moulins. Les familles suivirent ce déménagement, augmentant alors d'une manière considérable la population du village de la gare du chemin de fer à «Salmon Lake».

Pendant ce temps, les requêtes arrivaient pressées, sollicitant de Mgr l'Evêque la permission de construire une chapelle au bout de la route, à la limite du troisième rang, et d'avoir un prêtre résidant à Saint-Edmond.

Par prudence, Monseigneur ne voulut pas régler une affaire si importante avant d'avoir constaté lui-même ce qui devait être fait dans la circonstance. Le I1 février, au prône de la messe, le missionnaire annonce que Mgr l'Evêque, accompagné de M. le Curé d'Amqui, viendra le 25 courant répondre aux demandes qui lui ont été faites.

Le jour venu, les colons, assemblés dans l'école-chapelle du troisième rang, entendaient Mgr Blais leur communiquer ce qu'il jugeait à propos de faire dans l'intérêt de la jeune mission. Les archives, malheureusement, sont muettes sur tout ce qui a été dit à cette assemblée par le premier pasteur, et c'est dommage; mais il sera permis de supposer que Monseigneur s'étant rendu parfaitement compte de la non convenance du projet de faire une paroisse avec les rangs supérieurs, après avoir annexé à Amqui tout le premier rang, c'est-à-dire tout le village actuel de SaintEdmond, comprit qu'il fallait tout de suite une église sur le premier rang, près de la gare du chemin de fer, au centre de la population ouvrière déjà existante. En effet, le II mars au prône de la messe, 1e missionnaire, annonçant sa visite pastorale, dit qu'il en profiterait pour présenter une requête à signer, dans le but de demander à l'Autorité ecclésiastique l'érection canonique de la paroisse, et une église qui sera construite au premier rang, près de la gare de «Salmon Lake ».

Il faut croire que Messire Plourde redoutait un peu d'entreprendre l'affaire, car il ajoute en notes: «Remarques à ce sujet».

M. le Vicaire visita donc les familles de la mission et il fut reçu avec les sentiments de foi qui distingue cette visite particulière du prêtre: mais, pour sa requête, il ne put obtenir que quelques signatures. De suite il comprit qu'il était inutile d'insister davantage, et continua sa visite sans plus. Le feu était à la poudre qui menaçait d'éclater.

Messire Plourde n'y pouvant rien alors, et le curé d'Amqui pas davantage, fit part de son insuccès à Mgr l'Evêque qui, à cet instant même, recevait la visite de Messire S. Turbide, curé de Havre-aux-Maisons, aux Iles de la Madeleine. Monseigneur trouvant le moment providentiel, s'empressa de confier à ce bon prêtre le soin de se rendre à Saint-Edmond afin d'y rencontrer les gens, presque tous de sa parenté, connaissances ou anciens paroissiens, pour leur faire comprendre qu'il était de leur intérêt de se hâter d'avoir une organisation paroissiale avec un prêtre au milieu d'eux et une église construite là où le bien général semblait l'exiger; c'est-à-dire sur le premier rang de la future paroisse au centre de la population ouvrière.

Dans l'espoir d'être utile à Dieu et à son Eglise, confiant en l'esprit de foi de ses anciens paroissiens le dimanche 20 mai 1906, Messire Turbide se rendit à l'écolechapelle de Saint-Edmond: il prêcha à la messe sur l'union et la charité; puis, abordant la question qui l'amenait au milieu d'eux, il communiqua à l'assemblée la teneur de la requête, avec prière de vouloir bien venir la signer immédiatement après la messe, afin de lui épargner une visite à domicile. Presque tous se rendirent: les autres furent atteints en allant les rencontrer dans leurs demeures.

Heureux de son succès, Messire Turbide s'empressa de remettre à l'évêché la requête dûment signée, en faisant part à Sa Grandeur des bonnes dispositions, du moins apparentes, des citoyens de Saint-Edmond. Monseigneur, en réponse, envoya à M. l'abbé une lettre fort élogieuse et pleine du témoignage de sa reconnaissance.

Cependant, le ciel était encore sombre et les esprits, un instant calmés, s'excitaient de nouveau.( ...)

L'ABBÉ ALEXANDRE BOUILLON

« Va, ne crains pas, Abram! Je suis ton bouclier, ta récompense sera très grande» (Gen 15, 1) .

En offrant ses félicitations à Messire J.-L. Perron, nommé vicaire à Amqui, en septembre 1905, M. l'Abbé Bouillon ne se doutait nullement que la divine Providence, dans ses desseins éternels, le destinait un jour à accomplir au milieu du petit troupeau, déjà connu, une mission de paix, de charité et de concorde.

A ce propos voyons ce qu'il écrit sur les dispositions de ses ouailles à son arrivée:

Les choses en étaient là, lorsque Mgr Blais confia le soin de la desserte de Saint-Edmond à Messire Alexandre Bouillon, alors curé de Saint-Eusèbe, au comté de Témiscouata. En quittant sa petite paroisse, où il pouvait au moins jouir de la tranquillité bien appréciable en ce pauvre monde, - pour venir au plus fort de la tempête, prendre la conduite d'une « barque» ballottée par l'orage, le jeune missionnaire ne se fait pas d'illusion. Connaissant parfaitement toute l'étendue des difficultés, pour les avoir jadis prévues, et qu'il devait aujourd'hui remettre à point, il avait accepté, non sans quelqu'appréhension, uniquement pour répondre à son Evèque qui le voulait à ce poste.

Un samedi donc, 6 octobre 1906, par le train du soir, arrivait le premier missionnaire résidant. A la gare, personne pour le recevoir. L'on avait pourtant, un jour, mis en évidence, cette inscription: «Monseigneur, donnez-nous un curé: mais, ainsi vont les choses en ce monde: insensé qui s'y attache! »... Comme un voyageur de passage, il avise l'Hôtel Duclos, s'y dirige, et là, moyennant $25.00 par mois, l'on consent à lui donner le couvert. Pour le coucher, un marchand de l'endroit, M. Alphonse Landry, veut bien lui céder une chambre: le reste de la journée, il le passe sur la rue, où, avec son bréviaire sous le bras, un crayon et un bout de papier, il établit son domicile. Cet état de chose dura quinze jours.

Le lendemain, dimanche, 7 octobre, la messe fut dite dans l'école-chapelle du troisième rang où furent conservées les Saintes Espèces, pour les besoins des malades. M. Pierre Turbide fut le fidèle gardien de la clef du tabernacle et de la lampe du sanctuaire. Au prône de la messe, le missionnaire, pour établir la légitimité de sa mission, donna lecture de la lettre suivante:

Au Révérend M. Alexandre Bouillon, curé de Saint-Eusèbe salut et bénédiction en N.S.

Nous vous confions par les présentes, jusqu'à révocation de Notre Part ou de celle de Nos successeurs, le soin de la mises de Saint-Edmond, au comté de Matane.

Vous exercerez dans cette mission les pouvoirs ordinaires dea curés de ce diocèse. Vous recevrez des fidèles les dîmes et oblations accoutumées ainsi que les capitations imposées dans le diocèse par une ordonnance épiscopale en date du huit septembre mil huit cent soixante-dix-sept.

Dans les paroisses voisines, vous aurez juridiction conformément aux dispositions du décret XI du septième Concile provincial de Québec. De jurisdictione ad praedicandum et absolvendum.

En vertu d'un indult en date du 25 décembre 1905, valable pour 5 ans, Nous vous autorisons à bénir les croix, les médalles et les chapelets et à attacher les indulgences apostoliques ainsi que les indulgences dites de sainte Brigitte; de plus, à appliquer , aux malades l'indulgence « in articulo mortis », suivant les règles de l'Eglise et la formule du Rituel Romain. Vous aurez aussi soin de faire aussitôt que possible la profession de foi prescrite par le Décret V du sixième Concile provincial de Québec. Vous vous rendrez à votre nouveau poste le premier dimanche d'octobre courant; ce jour-là, vous lirez au prône de la messe principale dans la chapelle de Saint-Edmond, les parties de la présente qui regardent les fidèles, puis vous l'inscrirez dans toute sa teneur au registre des archives de la dite mission.

Donné à Saint-Germain de Rimouski, sous Notre seing, le sceau du diocèse, et le contre-seing de Notre pro-secrétaire. Le cinquième jour du mois d'octobre de l'an de grâce mil neuf cent six.

Signé: André-Albert, Ev. de Saint-Germain de Rimouski;
Victor Côté, Pro-secrétaire.

Cette lecture achevée, M. l'Abbé Bouillon fit une instruction sur la charité dont nous dégageons cette pensée: «Vivons toujours dans une grande charité dans nos rapports avec notre prochain. »

Ce jour-là même, après la messe, l'on apporta au baptême l'enfant de John Leblanc et de Christine Fougère, qui reçut le nom de Anne. Le parrain était Alexandre Verreault: la marraine, Anne Bourgeois. C'était le premier baptême fait dans l'école-chapelle par le premier missionnaire résidant .

Pressentant la délicate et difficile mission que vient de confier à l'Abbé Bouillon, son zélé fils spirituel, Mgr André-Albert Blais lui apporte ses plus paternels encouragements.

De Rimouski, le 7 octobre 1906, il lui adresse la lettre suivante:

Mon cher Monsieur,

je viens de recevoir votre lettre d'hier, et je me réjouis et je bénis Dieu de l'accueil que l'on vous a fait au Lac-au-Saumon. Puisque la maison que l'on s'est empressé de mettre si généreusement à votre disposition, vous semble offrir de si grands avantages à tous égards, je veux bien qu'elle vous serve aux fins proposées. Faites tout ainsi pour la plus grande gloire de Dieu, pour le plus grand honneur de la religion et du culte sacré, pour la plus grande édification des intéressés de part et d'autre, et la grâce et la vertu du ciel vous aideront à conduire votre délicate entreprise à bonne et heureuse fin. Je vais m'occuper immédiatement de vous trouver un bon délégué. Ne dites rien, et ayez bonne confiance. Je vous écrirai aussitôt que j'aurai trouvé l'homme que je vais chercher.

En attendant je vous bénis de tout coeur, ainsi que vos fidèles et votre action à leur service, et je demeure, Mon cher Monsieur, votre tout dévoué en N.-S.

André-Albert, Ev. de St-Germain de Rimouski.

HABITATION DU MISSIONNAIRE

« Les renards ont leurs tanières, les oiseaux du ciel ont leurs nids: mais le Fils de l'homme n'a pas où reposer la tête » (Mt 8, 20).

Nous l'avons dit, rien n'avait été prévu pour l'arrivée du missionnaire; il fallait donc songer à l'installation. Comme les villageois nouvellement arrivés n'avaient que juste l'abri nécessaire, il n'était pas facile d'arriver à une conclusion satisfaisante. Après trois jours de recherches cependant, le missionnaire, moyennant $6.00 par mois, obtint de M. Alphonse Lamontagne, l'usage de l'une des deux maisons que ce monsieur possédait sur la rue de Saint-Edmond, à quelques pas de la gare du chemin de fer, du côté Sud. (...)

Les quelques cloisons volantes de cette bâtisse furent vite abattues, pour ne laisser qu'une vaste salle qui servit de chapelle provisoire, du 15 octobre au le= mai 1907. Du côté Est, un autel adossé au mur: à l'angle Ouest, une grille pour servir de confessionnal; et puis, voilà... Tout étant prêt, la première messe y fut célébrée le dimanche 15 octobre 1906; et le 17, dans l'aprèsmidi, vers 4 heures, au retour d'une visite pastorale au troisième rang, le missionnaire, conduit par M. Nazaire Richard, y transporta les Saintes Espèces conservées alors dans l'école-chapelle.

Après avoir logé le bon Dieu, il fallait bien que le missionnaire songeât un peu à lui-même. Un commencement de cuisine de 12 pieds sur 14, adjacente à la chapelle, du côté Sud, fut, tant bien que mal, bien vite aussi terminé; et le 22 octobre 1906, le missionnaire pouvait appeler son vieux père et sa sueur à venir le rejoindre, en leur écrivant: « Le château> est " paré b; non pas à la " marquise ", mais à la " missionnaire ". Je m'y trouve bien: et j'ai tout lieu d'espérer que vous vous en accommoderez. vous aussi.

Faisant allusion à cette résidence d'occasion, Monseigneur André-Albert Blais lui écrivait en date du 3 novembre 1906:

(...) Dieu vous garde et vous comble en même temps de bonheur et de santé dans l'installation de votre petite cuisine où vous avez su ménager tout à la fois une salle de réception, un bureau d'office et un réfectoire ?

Cette chapelle et la résidence du missionnaire n'étaient pas ce qu'il y avait de mieux en fait de construction. Bâtie sans trop de soin, cette maison n'offrait guère d'abri contre les grands vents: et le plancher toujours froid ne permettait pas de rester longtemps à genoux; autrement, gare aux rhumatismes!... Nous pouvons alors concevoir tout ce qu'a dû souffrir le missionnaire qui, parfois, devait passer de longues heures au confessionnal. Ces misères jointes à d'autres peut-être plus pénibles encore, furent la cause d'une grave maladie qui le retint deux longs mois à l'hôpital de Campbellton et faillit lui devenir fatale.

A son arrivée, le missionnaire manquait de tout: il y avait bien quelques ornements et vases sacrés à l'école-chapelle où depuis 1900, l'on célébrait la sainte messe; mais l'état de ces objets était tel qu'il fallait les renouveler. C'est pour faire face à ces dépenses urgentes que Monseigneur, le 8 novembre 1906. écrivait à l'Abbé Bouillon: "Eu égard à la raison exposée dans votre lettre du 3 de ce mois, et vu aussi les circonstances où vous êtes pressé de pourvoir aux choses nécessaires à l'exercice du culte sacré, dans la chapelle provisoire de votre desserte de Saint-Edmond, sur les bords du Lac-au-Saumon, je veux bien vous permettre de faire cette vente de charité, et je vous souhaite que cette oeuvre soit couronnée d'un plein succès."

Cette vente de charité eut lieu en l'été de 1907, et rapporta la jolie somme de $765.03

MINISTÈRE ITINÉRANT

Comme cette chapelle provisoire était trop petite pour contenir la population, à partir du 15 octobre 1906, jusqu'au 25 décembre de l'année suivante, le missionnaire devait à huit heur une première messe dans la chapelle du village, puis se pour 9 h 30 en dire une deuxième dans l'école-chapelle du tr rang, à une distance de deux milles et demi du village. Le tants des rangs, chacun à leur tour, devaient venir cher ramener le missionnaire: mais par négligence ou par maladr arriva parfois, que pour ne pas priver les gens de l'audit la messe, le dimanche, le missionnaire dut faire à pied ce d'une chapelle à l'autre. (...)

C'est par un chemin rocailleux, cahoteux, presqu'impraticable aux saisons du printemps et de l'automne qu'eut à voyager M. l'Abbé Alexandre Bouillon. A cette époque l'automobile et les routes d'asphalte n'étaient guères connues dans la Province de Québec.

(...) Cette nécessité d'avoir deux messes les dimanc fêtes d'obligation, se continua jusqu'au 25 décembre 1907, i à laquelle l'église que l'on s'était hâté de construire sur le p rang, au centre de la population ouvrière, près de la gi chemin de fer national, put servir au culte divin. En effet le cahier des prônes, au dimanche 22 décembre 1907, nous e A l'avenir, à partir de la messe de minuit, nous ne diron qu'une messe les dimanches et fêtes d'obligation. Tous devront venir l'entendre dans l'église paroissiale. L'on voudra bien se procurer un banc.

De nombreuses difficultés avaient surgi au sujet de placement de la chapelle paroissiale. Les uns la voulaie troisième rang, d'autres pas plus bas que le deuxièm d'autres en voulaient deux: une au village et l'autre à l'ancien emplacement de l'école-chapelle.

(...) Comment trouver les ressources nécessaires à la construction de deux églises dans un territoire déjà trop petit pour une seule?... et comment pourvoir à la subsistance de deux prêtres lorsqu'un seul, les premières années du moins, devait user d'industrie pour satisfaire aux exigences de la vie?... Voulait-on obliger le Curé à "biner" tous les dimanches et fêtes, comme le missionnaire le faisait depuis son arrivée dans la mission?... C'était demander l'impossible; car, outre que l'Eglise, sans raisons graves, n'aurait pu permettre d'user de cette exception à la règle, pour un temps indéterminé et d'une manière générale, je ne connais pas de "Samson " capable de suffire à une semblable tâche... Non, cette demande, pour téméraire qu'elle était, ne méritait guère considération; mais Mgr Blais, toujours charitable, voulut bien, cette fois encore, se rendre lui-même sur place pour répondre à la prière des colons.

VISITE DE SA GRANDEUR

Un soir, le 10 novembre 1906, Mgr arrivait au Lac-au-Saumon, accompagné de Messire François-Xavier Ross, principal de l'École Normale et de M. l'abbé Adélard Richard, de l'évêché. Comme le missionnaire était à l'étroit dans sa cabane de 12 pieds sur 14, Sa Grandeur et sa suite passèrent la nuit à l'hôtel Beaulieu. Le lendemain, dimanche, Mgr alla dire la messe dans l'écolechapelle du troisième rang, après laquelle, dans la chambre du missionnaire, sous le toit de l'école-chapelle, il prit un léger trustulum servi par M. Pierre Turbide. A la messe de 9h. 30, dite par le missionnaire, Mgr expliqua aux colons réunis, qu'il ne pouvait faire droit à leur demande, exposant les raisons pour lesquelles il ne pouvait accéder à leurs suggestions. La réflexion aidant, tous semblèrent convaincus; et l'office terminé les fidèles se dispersèrent sans autre incident.

Cependant, les messieurs Ross et Richard se partageaient la besogne dans la chapelle du village, l'un dit la messe de 8 heures et l'autre évangélisa la " foule ". Jamais Saint-Edmond n'avait vu ouvriers si nombreux et si distingués travailler a la portion du champ du Père de famille .

(...) Le lendemain, lundi, par le train local du matin, les hôtes distingués s'embarquaient pour Rimouski, emportant les remerciements et la reconnaissance de tous les paroissiens de Saint-Edmond.

Quel soulagement! Quelles actions de grâces monter vers le Seigneur au soir de ce jour, de l'âme Pastorale de M. l'Abbé Alexandre Bouillon. Enfin! la question sociale est réglée. Deux mois d'attente et Monseigneur André-Albert Blais, érigera cette mission en paroisse, tel que nous le prouve le texte suivant:

ÉRECTION CANONIQUE DE LA PAROISSE DE SAINT EDMOND

André-Albert Blais, par la grâce de Dieu et du Siège Apostolique, Evêque de Saint-Germain de Rimouski.

A tous ceux qui les présentes verront, savoir faisons que vue:

l- La requête, en date du 17 mai mil neuf cent six, i présentée au nom et de la part de la majorité des habitants tenanciers d'une partie y désignée du canton Humqui, aux et district de Rimouski, dans la Province de Québec, à l'e. Nous demander de bien vouloir ériger canoniquement en p; sous le vocable de Saint-Edmond et pour les raisons y énoncés le territoire mentionné dans la dite requête... autoriser la truction d'une chapelle temporaire sur les lots 31 et 32 du 1 rang du canton Humqui, avec un logement pour le prètr dite chapelle et ayant une dimension de quarante pieds de longueur sur trente pieds de largeur, et ériger au même enddroit un cimetière provisoire;

2- La commission, en date du neuf octobre mil neuf ce chargeant le Révérend M. Joseph-Cléophas Saindon, curé de Sainte-Marie-de-Sayabec, de se transporter sur les lieux au premier jour favorable, après avis préalables, afin de vérifier les allégations de la susdite requête, de s'assurer si elle est vraiment signée de la majorité des habitants francs-tenanciers intéressés, d'examiner les différents endroits proposés comme sites de la future église paroissiale et de la future chapelle provisoire, de fixer sites respectifs des dits édifices et de déterminer les dimensions principales de la dite future chapelle provisoire, enfin de dresser du tout un procès-verbal De commodo et incommodo;

3- Les certificats signés par les sieurs J: E. Beaulieu et Nazaire Richard d'un avis lu publiquement et affiché le dimanche quatorze octobre et le dimanche vingt-et-un octobre mil neuf cent six, à l'issue du service divin du matin, sur les bords du Lac-auSaumon, et à la porte de l'école-chapelle au troisième rang, le dit avis convoquant les intéressés pour ou contre la susdite requête à une assemblée devant être lue dans la maison où se célèbre l'office divin sur les bords du Lac-au-Saumon;

4- Le procès-verbal De commodo et incommodo de notre dit Député, en date du vingt-cinq octobre mil neuf cent six, constatant et vérifiant dans toutes leurs parties les faits énoncés dans la susdite requête;

5- L'opposition, en date du vingt-cinq octobre mil neuf cent six, présentée à Notre dit Député par onze francs-tenanciers des rangs supérieurs de la dite partie du canton Humqui, lesquels ne veulent pas que la chapelle provisoire se construise plus bas que le centre du rang deux, sur les lots trente-et-un ou trente-deux du dit canton Humqui, pour les raisons mentionnées dans la dite opposition;

Attendu que, suivant l'assurance qui en avait été donnée, l'emplacement proposé par les signataires de la dite opposition, en date du vingt-cinq octobre mil neuf cent six, sur les lots trente-et-un ou trente-deux du rang deux, a été visité et soigneusement examiné par Notre susdit député et par Nous-même, et qu'il a été constaté que les édifices religieux et les dépendances situés sur cet emplacement s'y trouveraient trop isolés de la population nombreuse des emplacitaires et ouvriers groupés sur les bords du Lac-au-Saumon, et que, par suite, le prêtre desservant, ainsi que les édifices religieux, seraient évidemment trop éloignés de cette population dont la plus grande partie n'a pas de voiture à sa disposition pour pouvoir s'y rendre facilement; et du reste, la requête en date du dix-sept mai mil neuf cent six, même après avoir eu retranché les noms des signataires qui l'ont demandé, n'en demeure pas moins signée par la majorité des habitants francs-tenanciers du territoire qui est désigné comme devant être le territoire de la future paroisse;

En conséquence, pour la plus grande gloire de Dieu et le plus grand bien spirituel et temporel des intéressés, après avoir invoqué les lumières de l'Esprit-Saint et pris l'avis des membres du Chapitre de Notre Eglise cathédrale, Nous avons réglé décrété, Nous réglons et décrétons ce qui suit:

1- Nous avons érigé et par les présentes Nous érigeons titre de cure et paroisse sous le titre et vocable de Saint-Edmon Evéque et Confesseur, dont la fête se célèbre suivant le martyrologue romain le seizième jour du mois de novembre, la susdite partie Est du canton Humqui, comprenant une étendue de territoire d'environ six milles de front sur cinq milles de profondeur, borné comme suit:

Au Nord-Est partie par le Lac-au-Saumon, partie par ligne séparant les lots 23 et 24 du premier rang, canton Humqni, et partie par le cordon séparant le premier rang du deuxième rang du dit canton Humqui;

Au Sud-Est par la ligne séparant les lots 12 et 13 dans les rangs II, III, IV, V et VI;

Au Sud-Ouest par le Ruisseau Sauvage et le cordon séparant le sixième rang du septième rang du dit canton Humqui;

La dite paroisse de Saint-Edmond devant ainsi comprendre dans le premier rang du canton Humqui, depuis le lot 24 jusqu'au lot 32 inclusivement, et dans les rangs II, III, IV, V et VI. depuis le lot 13 jusqu'au lot 43, dans le deuxième rang, jusqu'au lot 45 dans le troisième rang, jusqu'au lot 44 dans le quatrième rang, et jusqu'au lot 31 dans le sixième rang inclusivement, moins toutefois la partie des lots des rangs III, IV, V et VI située au Nord du Ruisseau Sauvage;

Pour être les dites cure et paroisse de Saint-Edmond dans le comté de Rimouski, entièrement sous Notre juridiction spirituelle à la charge pour les curés ou desservants qui y seront établis dans ce diocèse, spécialement d'administrer les sacrements, de prêcher la parole de Dieu et de porter les autres secours de la religion aux fidèles de la dite paroisse, enjoignant à ceux-ci de payer aux dits curés ou desservants les dimes ou oblations telles qu'usitées et autorisées dans ce diocèse, ainsi que les capitations déjà établies par l'Evêque et les suppléments qui pourront être imposés par celui-ci dans la dite paroisse, et de leur porter respect et obéissance dans toutes les choses qui appartiennent à la religion et qui intéressent leur salut éternel...

Nous avons permis et Nous permettons qu'il soit construit dans la dite paroisse de Saint-Edmond une chapelle provisoire en bois, sur un terrain d'un arpent et demi de front et quatre arpents de profondeur, généreusement offert pour cette fin par les sieurs Joseph Saint-Laurent et Pierre Saint-Laurent, faisant partie des lots 31 des premier et deuxième rangs du dit canton: La dite chapelle à construire aura le portail tourné vers le Nord, mesurera environ cent pieds de longueur, cinquante pieds de largeur et trente pieds de hauteur au-dessus des lambourdes, et le logement y attenant pour l'usage du curé aura environ quarante pieds de longueur, trente pieds de largeur et vingt-quatre pieds de hauteur su-dessus des lambourdes; les dites dimensions devant être prises en dedans et à mesure anglaise. Il sera procédé le plus tôt possible à la construction des susdits édifices, mais seulement après que les plans et devis auront reçu Notre approbation:

Quant à l'érection du cimetière demandée dans la dite requête du 17 mai mil neuf cent six, elle ne pourra être faite qu'à l'époque du printemps, alors que la neige qui recouvre aujourd'hui la terre sera disparue.

Nous recommandons aux paroissiens de la nouvelle paroisse de s'adresser aux Commissaires nommés pour mettre à exécution, dans le diocèse de Saint-Germain de Rimouski, le Chapitre XVIII des Statuts Refondus du Bas-Canada, afin d'obtenir de Son Honneur le Lieutenant Gouverneur une Proclamation sous le sceau de la Province, à l'effet de conférer à la dite paroisse tout autre droit, tout autre privilège nécessaires au bien de ses fins civiles.

Sera Notre présent décret lu et publié au prône de la messe paroissiale dans chacune des deux chapelles de Saint-Edmond, les deux premiers dimanches ou jours de fête chômées, après sa réception, puis inscrit dans toute sa teneur au registre des archives de la nouvelle paroisse.

Donné à Saint-Germain de Rimouski, en Notre Palais épiscopal, sous Notre Seing, le sceau du diocèse et le contre-seing de Notre Secrétaire ad hoc, le vingt-deuxième jour du mois de janvier de l'an de grâce mil neuf cent sept.

Signé: André-Albert Blais, Evêque de Saint-Germain de Rimouski. Par Décret de Monseigneur l'Evêque.

Signé: A. Richard, prêtre, secrétaire ad hoc.

Suit le certificat de publications faites par le curé tel que requis:

Je soussigné, curé de la nouvelle paroisse de Saint-Edmond du Lac-au-Saumon certifie avoir lu et publié le décret ci-dessus et d'autre part, au prône de la messe paroissiale, dans les deux chapelles provisoires du premier rang et du troisième rang de la dite paroisse, dimanche, le 3 février, et dimanche le 10 février 1907. En foi de quoi, j'ai signé le présent certificat, au lieu de Saint-Edmond du Lac-au-Saumon, le dixième jour de février 1907.

Signé: A. Bouillon, prêtre, curé.

A la suite de la proclamation du susdit décret, il était lu aux paroissiens de Saint-Edmond l'ordonnance qui pourvoyait à la création et à l'organisation d'une fabrique dans la nouvelle paroisse, datée du 25 janvier de la même année; et, le 10 février, jour de la dernière lecture des documents susdits, Messire Alexandre Bouillon faisait connaître à ses nouveaux paroissiens, ses lettres de mission, du 4 février 1907, le nommant curé de la nouvelle paroisse.

Immédiatement après la messe de ce jour, dans la chapelle provisoire du village, tel qu'annoncé, il fut procédé à l'élection des premiers marguilliers, savoir le sieur joseph Gaudreau, premier marguillier du banc, en charge pour l'année courante; le sieur Pascal Beaulieu, second marguillier du banc, et le sieur Placide Cyr, troisième marguillier du banc. Comme ce dernier refusa d'accepter la charge, et ayant donné sa démission le 2 mai 1907, devant les témoins A. Bouillon, curé, et Pierre Bourque, il fut remplacé, le 12 mai de la même année, par le sieur Johnny Bourgeois, du 41e rang. Puis les sieurs Louis Arsenault, joseph Saint-Laurent, Pierre Bourque, Paul Dubé et Hector Fournier, furent élus pour agir comme anciens marguilliers; et le corps et l'Oeuvre et Fabrique de Saint-Edmond du Lac-au-Saumon était constitué.

RECONNAISSANCE CIVILE

Il ne restait plus aux paroissiens de Saint-Edmond qu'à faire reconnaître civilement l'existence de leur nouvelle paroisse. Les démarches nécessaires étant faites auprès de Messieurs les Commissaires nommés pour mettre à exécution, dans le diocèse de Rimouski, le Chapitre XVIII des Statuts Refondus du Bas-Canada, dans la " Gazette officielle " de Québec, le 17 août 1907, on pouvait lire la proclamation suivante: " ... Nous avons confirmé, établi et reconnu, et par les présentes, confirmons, établissons et reconnaissons les limites et bornes de la paroisse de Saint-Edmond du Lac-an-Saumon, tel que canoniquement reconnue et érigée par les autorités religieuses.

Et nous avons ordonné et déclaré, et par les présentes, ordonnons et déclarons que la paroisse de Saint-Edmond du Lacau-Saumon décrite comme susdit, sera une paroisse pour toutes fins civiles en conformité des dispositions des susdits Statuts".

Signé: Louis-A. Jetté, Lieutenant, gouverneur de Notre Province de Québec.

Par ordre: L. Rodolphe Roy, Secrétaire de la Province.

CONSTRUCTION DE L'ÉGLISE

Jusqu'à présent M. le Curé Bouillon nous a dépeint sous différents aspects sa vie missionnaire à Lac-au-Saumon, en 1901; son arrivée comme premier missionnaire résidant, en 1906. Ces détails nous révèlent combien il a navigué durement contre vents et marées pour construire le temple du Seigneur.

Désormais nous le suivrons dans l'évolution, tant matérielle que spirituelle, de la paroisse de Saint-Edmond.

Monsieur Bouillon n'est pas homme à laisser languir les décisions. Dès qu'elles sont prises, il en poursuit la réalisation et se met à la recherche d'un exécutant. Il le trouve mas la personne de 1VI. Zénon Ouellet du Bic, qui, le 5 mars 1907. signe un contrat de $11,000. pour la construction de l'église. Les travaux d'excavation commencent la dernière semaine d'avril. Sous l'habile direction de l'entrepreneur et la conduite de M. Ernest Dionne, des Trois-Pistoles, l'église fut bientôt terminée et la première messe fut célébrée le jour de la Toussaint de l'année 1907.

Eglise de Lac-au-Saumon en 1907, incendiée en 1932

PREMIÈRE RETRAITE PAROISSIALE

Tout attentif qu'il était à l'organisation matérielle de la paroisse, le Curé ne négligeait pas cependant le côté spirituel besoin d'une bonne et grande retraite se faisait sentir. Mais, qu'alors, on le comprendra facilement, le local faisait défaut, il fallut " espérer ". Maintenant que tout était prêt, un samedi, 11 juillet, les RR. PP. Pacifique et Athanase, capucins de Sainte- Anne de Restigouche, faisaient l'ouverture de ces jours attendus avec impatience. Tous se firent un devoir d'assister à ces touchants exercices; et le résultat fut tel, qu'au dire des témoins, c'est sûrement la retraite la plus fructueuse comme aussi celle qu laissé la plus salutaire impression. A l'occasion de la clôture, dimanche 19, Monseigneur, qui s'était empressé de répondre à l'invitation qui lui en avait été faite, voulut bien, avant la grand-messe du jour, bénir l'église; et, dans l'après-midi, y ériger chemin de croix, don des paroissiens. Le soir, à 7 heures, il y eut sermon de persévérance donné par le R.P. Pacifique, après lequel Monseigneur distribua aux associés la croix de tempérance. M. l'abbé Wilfrid Dionne agissait comme cérémoniaire.

Bien avant cette solennité, le 10 octobre de l'année précédente, Mgr Blais avait écrit au curé: " En revenant de Restigouche, samedi dernier, j'ai pu voir, à la lumière du soleil levant votre église et votre presbytère, et je dois dire que l'apparence m'en a paru très belle. jusque là, je me plais à féliciter tous les intéressés, et je vous bénis en particulier. La fête de la prochain inauguration religieuse de ces édifices ne manquera pas sans doute d'être une vraie réjouissance à tous égards au milieu de votre peuple fidèle ". Et les prévisions, si bénévolement énoncées par Monseigneur l'Evêque, eurent leur pleine réalité au jour mémorable du 19 juillet 1908, car tous étaient dans la jubilation.

SALLE D'AMUSEMENT

Mais le coeur de l'homme, créé pour un bien infini qu'il cherche en vain ici-bas, est ainsi fait que, poursuivant sans cesse cet idéal, il s'attache un instant à ce qu'il croit devoir satisfaire ses aspirations, puis abandonne bientôt ce qui faisait son bonheur, pour ce qu'il estime maintenant être le parfait qu'il cherche. Aussi, la chapelle temporaire, fut-elle abandonnée, sans regret, et, en l'été de 1908, abattue sans pitié. En 1909 les jeunes gens s'emparèrent de la charpente pour édifier une salle d'amusement en face de l'église neuve, du côté Nord de la rue. L'inauguration eut lieu le 2 juillet de la même année. (...)

ORGANISATION SPIRITUELLE

S'il est vrai de dire que l'oeuvre de Dieu est marquée du sceau de l'épreuve, par tout ce que nous avons vu depuis les commencements de la paroisse de Saint-Edmond, il faut espérer qu'elle est voulue de Dieu.

M. le Curé, tout en s'occupant de la formation matérielle de sa paroisse, n'oubliait pas le spirituel. L'expérience le prouve: rien ne dura que ce qui est organisé en association permanente: comme aussi rien ne stimule davantage que le groupement des unités: le soldat isolé ne se sent pas le courage qu'amène l'entraînement par le groupe; et l'on sait s'il en faut au chrétien, du courage, pour rester fidèle à son devoir!

Le 27 janvier 1908, Monseigneur avait, par décret, permis l'heure d'adoration de chaque semaine devant le Saint Sacrement exposé; l'inauguration se fit le 7 février suivant.

Pour répondre à tous ces besoins et grouper ses paroissiens afin de les rendre plus forts le curé, après avoir obtenu de Mgr Biais les décrets nécessaires, organise L'Apostolat de la Prière, le 4 mai 1909; le 24, la Ligue du Sacré-Coeur; le 27, les Congrégations des Dames de Sainte-Anne et des Enfants de Marie.

Le 16 avril 1912, le Tiers-Ordre de Saint-François fut établi par le R.P. Casimir, Capucin, de Ste-Anne-de-Restigouche: en 1916, l'Union de la Prière et le 18 décembre, la Pieuse Association de Saint-Jean-Berchmans, pour les enfants de Choeur. Enfin pue un décret de Mgr Léonard, le 24 novembre 1922, L'Association de Saint-Joseph pour les jeunes gens. La première réception eut lieu aux premières vêpres de S.-Joseph, le dimanche après-midi, à 3 heures, le 18 mars 1923. Toutes ces sociétés sont suivies avec intérêt, et le bien qu'elles font est appréciable.

L'intronisation du Sacré-Coeur de Jésus dans les foyers se fit solennellement au Lac-au-Saumon, le 12 août 1917. A midi, à peu près dix minutes après l'Angelus, au son des trois cloches, le père, comme chef de la famille réunie au pied de l'image " souvenir " du Sacré-Coeur de Jésus, lisait à haute voix, l'acte de consécration et d'intronisation du Sacré-Coeur au foyer familial.

Dans l'après-midi, toute la paroisse était fidèle au rendez-vous, et, en présence du Très Saint Sacrement solennellement exposé, le Curé, à son tour, lisait la même formule et consacrait au divin Coeur, les personnes et les choses qui forment la paroisse de Saint-Edmond-du-Lac-au-Saumon. (...)

Tous les ans, par la coutume établie, en la solennité de la fête du Sacré-Coeur, la même cérémonie se renouvelle; et les nouveaux époux ne quittent pas l'autel où ils se sont juré fidélité, sans se consacrer à la Sainte-Famille et au Sacré-Coeur de Jésus.

FRANCISATION

La Gare du chemin de fer de Saint-Edmond, baptisée par des anglais, avait pour nom: " Salmon Lake ". En bon Canadien, descendant des Normands, le curé, tout en ayant l'oeil à l'organisation de la paroisse, voulut bien aussi voir à mettre la gare du chemin de fer en harmonie avec le bureau de poste.

Il écrivit à son évêque qui le loua de sa démarche et qui lui permit d'en référer aux autorités fédérales.

Une requête dûment signée par la majorité des paroissiens de Saint-Edmond et chaleureusement apostillée par Mgr Blais, fut remise à Monsieur le Docteur Ross, du Mont-Joli, alors député fédéral pour le comté de Matane. Le 1er mai 1908, il recevait la réponse suivante: "Au sujet de la requête et de la lettre que vous avez eu la bonté de me donner aujourd'hui, je suis heureux de vous informer que l'Ingénieur pour l'entretien du chemin de fer a reçu instruction de changer le nom Salmon Lake en Lac-auSaumon ".

CONSTRUCTION DU PRESBYTÈRE

Depuis la construction de l'église, M. le Curé demeurait provisoirement dans la sacristie. Le 30 mai 1910, M. Joseph Dagneau de Notre-Dame du Sacré-Coeur de Rimouski signa un contrat de $4,600. pour l'édification d'un bâtiment neuf. Les travaux préliminaires des fondations commencèrent le 1er juin.

Tout allait bien d'abord, mais l'entrepreneur Dagneau n'ayant pas le sou et ne pouvant attendre les estimées pour vivre, ne put tenir longtemps; aussi bientôt fit-il complètement défaut; et le curé Bouillon, sans plus de cérémonies, prit la conduite du chantier. Le 19 juillet, M. A: A. Portugais de Rimouski, posait le système de chauffage à eau chaude et la plomberie et, le 29 janvier 1911, le curé entrait avec armes et bagages dans le presbytère neuf, abandonnant sans regret les pièces aménagées dans la sacristie.

Presbytère
Presbytère de Lac-au-Saumon construit en 1910

BÉNÉDICTION D'UNE ÉCOLE

De jour en jour, d'année en année la paroisse progresse, la Population augmente, les constructions se multiplient...

Le 3 décembre 1913, M. le Curé A. Bouillon bénissait l'école neuve construite sur la rive Nord du Lac-au-Saumon, sur la terre de M. John Cuyan, au prix de $3,500. C'est que les citoyens de St-Edmond s'intéressent à l'éducation de leurs enfants, ce qw explique peut-être les premières places qu'ils occupent dans les rapports de M. l'Inspecteur des écoles; et ils s'y intéressent d'au. tant plus qu'ils possèdent pour la plupart une certaine instruction, Profitant de ces avantages, le Curé s'empressa d'organiser une bibliothèque paroissiale composée de cinq à six cents volume; bien choisis.

ARRIVÉE DES RELIGIEUSES

Elles brilleront comme des étoiles celles qui instruiront la jeunesse (Dan 12, 3).

La formation intellectuelle et morale de l'enfance es la pierre angulaire de la société et le rempart de la race. Se rappelant cette vérité, les gens de Lac-au-Saumon unis au Chef spirituel de leur paroisse, sollicitent la venue des religieuses, à qui ils confieront l'instruction de leurs enfants.

Dès 1913, le couvent était prêt mais, malgré les instance réitérées de M. le Curé Bouillon et des paroisiens, ce fut seulement plus tard, que les religieuses arrivèrent dans la paroisse.

(...) Le 4 mars 1917, la Révérende Mère Marie du Saint-Esprit, alors supérieure générale des Soeurs de Notre-Dame c Saint-Rosaire à Rimouski, prévenant le curé, disait: "Vous Connaissez, sans doute, la demande de messieurs vos Commissaires d'école, à l'effet d'obtenir notre dernier mot au sujet de l'acceptation de vos classes. Je prie Monsieur le Secrétaire de vouloir bien convoquer une assemblée des dits Commissaires et de me dire quel jour de cette semaine aura lieu cette assemblée, afin que je m'y rende pour m'entendre verbalement sur les conditions d'engagement. J'espère que nous pourrons nous entendre et que nous aurons le plaisir de voir vos voeux réalisés.

Telle que prévue l'assemblée eut lieu; et tout se passa à la grande satisfaction des parties en cause.

(... ) Le 17 août 1917, un vendredi soir, du train local descendaient les Révérendes Mères Marie de Saint-Philippe-de-Néri, supérieure de la nouvelle communauté, Marie de Sainte-Jeanne d'Arc, assistante supérieure, Marie de Sainte-Victoire, Marie de Saint-Auguste et Marie de Sainte-Véronique. Comme une partie du ménage les avait précédées, elles s'installèrent tout de suite dans leur couvent; et dès le premier lundi, le 3 septembre, les classes s'ouvraient à la gent écolière. Le travail de tout ce petit monde fut régulier et soutenu et, le 26 juin 1918, avait lieu la première distribution des prix chaleureusement disputés.

GLANURES

Recueillies par Mère Marie de Saint-Théophile, de la congrégation des Soeurs de Notre-Dame du Saint-Rosaire Rimouski, alors qu'elle était supérieure au couvent de Lac-au-Saumon.

Par un bel après-midi du Jour de l'An 1926, je marchais sur la galerie avec une compagne, quand nous voyons venir, du côté ouest, Madame Olivier Turbide, que tout le monde appelait " Mémère Turbide " pour la distinguer de ses nombreuses bellesfilles; elle était la grand'maman de l'Abbé René. Bien que assez âgée, elle allait d'un pas alerte, rencontrer le Christ au tabernacle et le p'tit Jésus à la crèche.

Du côté est, venait M. le Curé Bouillon, habillé chaudement de son long et large manteau de mouton brun (il n'avait pas les moyens de s'acheter un capot de chat, pas même des mitaines, encore moins des gants); c'est pourquoi, pour se protéger les mains du froid, il les portait toujours dans ses manches. La rencontre s'adonnait en face du Couvent. C'est là que nous avons été les témoins profondément édifiés de ce qu'on peut appeler " une belle scène". En abordant le prêtre, en qui elle voyait le " Maître ", avec sa foi pure Acadienne, la vieille octogénaire se jette à ses pieds sur la neige, en plein milieu du chemin pour en recevoir la bénédiction du Jour de l'An. De sa large manche, il tire sa main pour refaire, sur sa chère paroissienne, le geste du Maître allant sur les routes de la Judée. Alerte, la chère Mémère continue son chemin vers l'église pour y rencontrer le Christ. Le prêtre aussi, content d'avoir fait une rencontre qu'il désirait doute, repart d'un pas plus rapide vers la p'tite maison de Dugas où il rencontra le Christ, lui aussi, dans une jeune ma mère de quelques beaux enfants, rhumatisée au point de garder la chaise toute la journée. Un mouchoir attaché au bout d'une baguette lui rendait le grand service de pouvoir essuyer elle-même les rares larmes qui lui tombaient des yeux, ainsi que du nez, car ça va pas mal ensemble.

Si cette chère petite Maman, pour se transporter d'une à l'autre, avait connu notre commode chaise roulante d'aujourd'hui, elle se serait cru aux " Noces ". Mais non, elle était pauvre de santé physique, de biens matériels aussi, mais combien était riche de foi, de confiance, d'abandon. Quand nous l'avions vue une fois, nous voulions la revoir encore pour en respirer le parfum divin qui s'en exhalait.

Ces membres souffrants du Corps Mystique étaient les préférés du bon M. le Curé Bouillon. Ces visites n'étaient longues; mais il laissait réconfortés ceux qui l'accueillaient jours avec joie. Et lui s'en allait tout heureux de leur avoir un peu de bonheur.

Nous sommes en 1933. Par un grand froid d'hiver, les servants nommés pour servir la messe de M. le Curé Bouillon ne purent se rendre. La famille St-Amand, prête à braver toute tempêtes, pour se rendre à la messe, chaque matin, était là. Madame dit à Philippe, garçonnet d'une douzaine d'années " Va, servir "... Philippe part. Pour être rendu plus tôt, il pique au court et se présente à l'autel en petit habit civil, toujours propre. Cet accoutrement ne plut guère au célébrant qui lui dit d'un ton aigre-doux: " Va t'habiller "! L'enfant " décolle manifestant un peu de mauvaise humeur. Qui ne l'aurait pas fait ? Et revient vêtu de sa soutane et de son surplis.

La journée de classe se passe, les élèves partent, Philippe reste à sa place, il a d'quoi sur le coeur et il lui faut le dire. Sa maîtresse, Mère S.-Rose-de-Viterbe en sera la confidente. D'accord, mon cher Philippe, c'était fâchant, vous aviez tant voulu faire pour le mieux! Rien n'empêche que lui, est un prêtre, et vous, un élève. Ne croyez-vous pas qu'un bon moyen de vous débarrasser de ce qui vous pèse sur le coeur serait d'aller présenter vos excuses? Oh! non. Je n'irai pas certain.

Le dialogue se continue paisiblement... Finalement, la maîtresse reprend la correction de ses cahiers et mon Philippe retourne à sa place... II pense à son affaire... Tout à coup, il se lève et dit: " Je vais y aller".

Il arrive au presbytère et trouve M, le Curé à son bureau, qu'il ne quittait que pour remplir les devoirs de son ministère... On lui reprochait ce manque d'ouverture au monde... Faisait-il si mal?...

Revenons à notre Philippe qui dit en pleurant: " Monsieur le Curé, voulez-vous me pardonner mon saut d'humeur de ce matin? "

Le saint vieux prêtre dut penser à ce qu'il avait fait, lui aussi, et se mit à pleurer avec l'enfant. Dans un bureau des plus silencieux, tous les deux pleurent leur échappée du matin.

Enfin, l'enfant revint vers sa maîtresse, la figure pas mal barbouillée, les yeux encore mouillés, mais le coeur déchargé et profondément ému de l'humilité et de la tendresse de son vieux Curé.

Rimouski, 10 septembre 1969.


Page 6



Publications diocésaines
Biographies des prêtres décédés