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Le jour baisse

Les liens de la mort m'avaient entouré, et les angoisses du séjour des morts m'avaient atteint; j'avais rencontré détresse et chagrin. Alors j'invoquai le nom de Yahweh: " Ah, Yahweh, sauve mon âme!" (Ps 116, 3-4).

LE JOUR BAISSE

" Quand tout décline, tu demeures; quand tout s'efface tu es là! Le soir descend, tu resplendis au coeur de toute créature " (Hymne).

Cheminant depuis 1873 avec Messire Alexandre Bouillon, " Un Pauvre de Yahweh ", nous sommes étonnés que déjà se dore le couchant de cette vie si fructueusement remplie. Le jour baisse et rapidement pour le serviteur de Dieu.

Lorsqu'à l'homélie de l'Assemblée dominicale du 13 juin 1943, Monsieur le Curé insiste une fois de plus sur l'un de ses thèmes favoris: la prière, qu'il énonce ses paroles: "Priez, priez, ne vous lassez jamais car souvent on abandonne de prier la veille du jour où l'on serait exaucé " , ses paroissiens ne prévoyaient nullement que ces conseils étaient les derniers du Curé-fondateur de la paroisse.

VISITE À LA FONDATRICE

Lundi, le 14, à la fin du jour, une silhouette se dessine dans le lointain... Doucement, elle approche. A mesure qu'elle avance nous distinguons à son allure, toute de noblesse et de dignité, la stature de M. le curé Bouillon. Il gravit lentement la colline en égrenant comme toujours, son cher chapelet.

Le Père Fondateur a monté l'avenue et rentre à la Maison-Mère des Servantes de Notre-Dame, Reine du Clergé. Des affaires importantes le réclament; mû par un secret Pressentiment, il ne veut pas les retarder. En ces derniers temps, lorsqu'il prenait une décision il ajoutait presque toujours: " On ne sait jamais ce qui peut arriver. "

Au parloir, il converse avec la Révérende Mère fondatrice, Supérieure générale. Celle-ci le trouvant las, fatigué, épuisé même, lui offre de venir demeurer avec nous.

 

- Vos appartements sont prêts lui dit-elle, donnez donc votre démission.

- Je puis encore me dévouer; quand le bon Dieu voudra, je la donnerai.

Réponse d'abnégation totale. Comme le Christ, son Modèle, il veut se donner jusqu'au bout.

Cette conversation terminée, le fondateur reprend le même chemin. La fondatrice le suit du regard, son coeur fraternel pressent quelque événement douloureux. Une mère, ca devine tellement tout... le bon Dieu en les créant ne leur a-t-il pas donné une part d'intuition particulière? Demain nous le dira.

DERNIÈRE CÉLÉBRATION EUCHARISTIQUE

Nous sommes au 15 juin. Très tôt ce matin M. le Curé Bouillon a célébré un mariage. A l'église pendant la célébration il chancelle, se tient appuyé sur l'autel. Les nouveaux époux s'interrogent s'il ira jusqu'à la fin de la bénédiction nuptiale.

Revenu au presbytère, il vaque à ses occupations ordinaires, enregistre l'acte de mariage de joseph-André Poirier et de Marie Blanche Evangéline Turbide; puis un deuxième et dernier enregistrement celui du baptême de Marie Esther Leblanc, fille légitime d'Ovila Leblanc et d'Anna Thériault de la même paroisse.

ULTIME OFFRANDE

Au soir de ce même jour, le Révérend Père François Bérubé, O.M.I., enfant de la paroisse, avant son départ pour les missions de la Baie d'Hudson, rend visite à M. le Curé. Le visage du vénéré pasteur trahit les signes précurseurs d'une grave maladie, quoiqu'il ne se dise pas plus mal. Reconduisant son visiteur, Monsieur Bouillon faiblit et trébuche. Promptement, on avertit le Révérend Père joseph Roy, C.S.Sp., vicaire à la paroisse, qui nous donne les détails ci-joints.

C'est après un mois, jour pour jour, de mon arrivée au Lac, qu'un soir où je visitais les malades au village je fus appelé en hâte au presbytère: Monsieur Bouillon venait d'avoir une attaque d'hémiplégie. Il parlait avec une grande volubilité, mais de façon pas très distincte... je le fis mettre au lit et appelai le médecin... Après les premiers soins donnés, je lui proposai le Sacrement des malades. " Mais, non, mon état n'est pas grave! "

- " Monsieur le Curé, lui dis-je, quand vous visitez les malades, vous les exhortez à ne pas attendre à la toute dernière minute pour recevoir les derniers sacrements, n'est-ce pas? Et bien, il faut maintenant mettre en pratique ce que vous leur dites... " Ce fut final: il accepta de bon gré et se confessa humblement au Père Eugène Andlauer, puis je lui donnai l'Extrême-Onction et l'Indulgence Apostolique.

Le 16 au matin, on transmet aux Servantes Notre-Dame, Reine du Clergé, que le Père Fondateur a été foudroyé par la paralysie. Il demande avec instance la fondatrice qui se rend aussitôt à son chevet avec Soeur M. de Sainte-Louise-de-Jésus, son assistante, et Soeur M. de Saint. Anaclet, secrétaire.

Durant la journée, Son Excellence Mgr Georges Courchesne, évéque de Rimouski, accompagnée de Mgr Alphonse D'Amours, V.G. et de M. l'Abbé Louis Lévesque, directeur au Grand Séminaire, lui rendent visite.

Sur le soir, l'état de ce Père vénéré s'aggrave. La Révérende Mère Fondatrice se fait un devoir de rester auprès de lui, conservant avec ses Filles, la douce espérance Iqu'il reviendra à la vie.

Le 17, un nuage sombre se dresse à l'horizon. Les coeurs se serrent davantage, l'espoir diminue. Au cours de la nuit une crise plus forte faillit le faire trépasser. La matinée est assez bonne. Il prie sans cesse, multiplie les signes de croix. Dans l'après-midi, il dit à la fondatrice: " Papa, papa, papa "... " Je m'en vais. " Il parla encore sans que l'on puisse saisir ses paroles. Plus tard, il ouvrit de grands yeux vers le ciel mais ne dit rien.

Dans la veillée du 17, le vénéré malade entre en agonie. On récite les prières des agonisants. Il semble très conscient.

Le 18, par le train de 2 heures du matin, arrive le Docteur Clarence Bouillon, de Montréal, neveu du Fondateur. Il s'agenouille près du lit du mourant et dit: "Mon oncle, Clarence mon oncle... " et le cher malade rassemble toutes ses forces pour lui parler, mais sa bouche paralysée lui refuse cette dernière consolation. Le pauvre Clarence se relève bien peiné de n'avoir pas obtenu une parole, mais heureux d'avoir été reconnu.

Son agonie se prolonge sans un instant de repos. A 4 heures, il trace pour la dernière fois un grand signe de croix. A maintes reprises il veut refaire le même geste mais sa main s'y refuse. Son coeur faiblit, sa respiration devient de plus en plus difficile, pourtant il demeure dans un grand calme.

ENTRÉE AU PORT

Vers Toi, Seigneur, ma nacelle s'avance, soutenue et guidée par ta main toute-puissante.

Durant les dernières cinq minutes de sa vie terrestre la Providence a ménagé au Vénéré Père la présence de son confesseur. Celui-ci lui prête sa bouche et sa liberté de penser pour invoquer Notre-Dame. Reine du Clergé, Saint-Joseph de "Lac-au-Saumon". L'Ange du baptême et l'Ange de son sacerdoce, Saint-Alexandre, son patron et Saint-Edmond patron de la paroisse qu'il a fondée.

Le cher malade a une respiration très régulière: quelque peu lourde et mécanique; rien ne trahit sa fin prochaine.

Le Père Aumônier lui renouvelle la sainte Absolution et récite comme pénitence sacramentelle, pour son pénitent paralysé, le Notre Père. Au milieu de cette récitation, soit après l'invocation " Que votre volonté faite la terre comme au ciel", le vénéré Père Fondateur cesse de respirer, fait deux mouvements de déglutition et expire.

A ce moment suprême son corps garda le reflet de la grande simplicité de sa vie. Tout en tenant compte de l'hémiplégie qui a fini sans doute par devenir totale, ce fut pour moi un spectacle touchant de voir cette sérénité au moment du grand départ, sans plainte ni murmure, sans angoisse ni sueur d'agonie, sans larmes extérieures, sans qu une fibre ne bougeât.

J'eus l'impression profonde que sa belle âme, quittant la dépouille mortelle, a dû être bien accueillie là-haut, tandis qu'ici-bas une amère émotion m'envahit, celle d'avoir perdu l'amitié terrestre d'un saint.

6 juillet 1943
Eugène Andlauer, c.s.sp., aumônier

A cet instant suprême étaient présentes la Révérende Mère Marie de Saint-Joseph-de-l'Eucharistie, fondatrice et Mme Léger Fougères, servante depuis plusieurs années, au presbytère de Lac-au-Saumon.

Monsieur Bouillon n'est plus... Le glas annonce aux paroissiens la douloureuse nouvelle et les jette dans le deuil.

Ses chères Filles apprennent avec une indicible douleur que Dieu vient de rappeler à lui leur Père, leur Fondateur.

La dépouille mortelle fut exposée en chapelle ardente au presbytère, du vendredi au lundi. Durant ce temps de multiples visiteurs se succédèrent auprès du regretté disparu. Quelque chose de particulier retenait les regards des spectateurs. Une dernière fois on voulait revoir la figure vénérable de ce digne prêtre qui reposait dans la paix du Seigneur.

La translation des restes se fit solennellement du presbytère à l'église Saint-Edmond, lundi le 21.

Le service fut chanté le 22, par Monseigneur Alphonse D'Amours, V.G. de Rimouski. Il était assisté des abbés René Turbide comme diacre et Aubin Fougères comme sous-diacre, tous deux enfants de la paroisse.

Le chant fut exécuté par les chorales des Révérends Pères du Saint-Esprit et des Servantes de Notre-Dame, Reine du Clergé.

Ses Filles désiraient ardemment qu'une messe de requiem fut célébré en présence du corps de leur bien-aimé Père en la chapelle de leur Maison-mère. Cette faveur suprême leur fut accordée.

Le 23 à 8 heures, le Révérend Père joseph Mamie, C.S.Sp., Maître des novices spiritains, offre l'Auguste Victime. Le Révérend Père François Bérubé, O.M.I., l'assiste comme diacre et M. l'abbé René Turbide, comme sous-diacre.

Nombreux furent les membres du Clergé, les Communautés religieuses, les paroissiens et autres à venir prier et rendre un dernier hommage au premier pasteur de cette paroisse entrée dans la Maison du Père.

Soulignons ici la présence de sa soeur, Mme Olympe Côté de Saint-Anaclet, l'unique survivante de sa famille, de même celle de M. le Docteur Clarence Bouillon, son neveu de Montréal.

INHUMATION

La célébration terminée le cortège funèbre se remet en marche vers le cimetière paroissial. Le corps de Monsieur Bouillon repose à l'ombre des grands sapins près de celui de l'Abbé Louis-Philippe Canuel, premier aumônier de la Congrégation des Servantes de Notre-Dame, Reine du Clergé.

L'acte de sépulture de M. Alexandre Bouillon, prêtre est libellé comme suit:

Le vingt-trois juin mil neuf cent quarante-trois, nous sous signé, prêtre desservant, avons inhumé dans le cimetière de cett paroisse, le corps de Messire Alexandre Bouillon, curé de cett paroisse, fils de Alexandre Bouillon et de Arthémise Soucy, décéd au presbytère le dix-huit courant, à l'âge de soixante-neuf ans E neuf mois, muni des derniers sacrements et de tous les secow spirituels de notre Sainte Mère l'Eglise. Présents plusieurs marguilliers et paroissiens qui ont signé avec nous.

Ernest Deschênes; Philippe Roussel; Léonce Côté; Jean St. Laurent; Michel Pelletier; Samuel Fougère; Omérile Gagnon; Honoré Michaud; Aubin Richard; Ernest Rioux; Louis St-Laurent; Ferdinand Dupont; Cyrise Cyr; Sr M. de S. Jh de l'Eucharistie, s.r.c.; René Turbide, ptre; Eug. Andlauer, C.S.Sp.; Joseph Roy, C.S.Sp.; Joseph Mamie, C.S.Sp.

" Jamais plus ils ne souffriront ni de la faim, ni de la soif; jamais plus ils ne seront accablés ni par le soleil, ni par aucun vent brûlant " (Ap 7, 16) .

Pour les Soeurs Servantes de Notre-Dame, Reine du Clergé, quel détachement! Pour Mère Marie de Saint-Joseph-de-l'Eucharistie, quel rude coup! Comme la Vierge, c'est debout au pied de la Croix que la fondatrice dépose cette douloureuse épreuve. Elle notera dans son carnet:

La mort de notre Père fondateur si subite, si tragique, son service si silencieux ont fait un vide que rien ne peut combler. (...) Notre Chapitre Général. Le premier de notre communauté... sans notre Père fondateur qui avait commencé à le préparer et sur lequel nous nous reposions... il meurt... " Mon Dieu, pitié pour vos pauvres enfants ", fut mon unique prière durant ces heures tragiques. Pitié, nous en avions bien besoin ...

Le père n'est plus, mais il veille. La mère est là pour assurer la réalisation du plan de Dieu sur la Congrégation. Le fondateur l'a constituée " dépositaire " de son esprit. Il a laissé comme héritage à ses filles: Humilité, confiance, esprit de pauvreté, abandon à la divine Providence. La fondatrice saura le rappeler au cours de la double décennie qu'elle passera encore sur la terre. " Décharge sur Yahvé ton fardeau et lui te subviendra, il ne peut laisser à jamais s'écrouler le juste. " Ps. 54, 23.

TÉMOIGNAGES DE SYMPATHIE

Citons quelques-uns des sentiments exprimés à cette occasion à la Révérende Mère Marie de Saint-Joseph-del'Eucharistie, Supérieure générale de la Congrégation.

Québec, le 20 juin 1943.

Révérende Mère Supérieure Générale, Lac-au-Saumon.

Ma bien chère Mère,

J'ai appris avec une grande émotion et une bien vive douleur la mort du regretté Monsieur Bouillon et m'empresse de venir vous offrir l'expression de mes sincères condoléances. Vous ne sauriez croire combien je comprends la lourdeur de votre chagrin et si je ne connaissais votre foi profonde, je serais bien découragé pour vous. C'est un bon père qui disparaît et un si digne prêtre. Mais le Bon Dieu a trouvé que sa journée était assez remplie et il l'a appelé à la récompense.

Je vais le recommander aux prières demain et vous promets de prier pour lui tous les jours au S. Sacrifice de la messe au cas où il aurait besoin du secours de nos suffrages.

Et je demande au Bon Dieu de vous conserver encore longtemps à la tète de votre jeune communauté qui retirera un si grand profit de votre sage direction.

Veuillez agréer, chère Mère, l'expression de mes vives condoléances et daignez me croire,

Votre bien humble,

Léon Létourneau, Ptre, curé du St-Esprit

En cette circonstance, M. le Curé Létourneau, à sa visite à la Communauté éprouvée, ajoute:

Trois choses m'ont particulièrement frappé chez votre Père fondateur:

l- Son grand esprit de foi en la Providence face aux événements heureux ou malheureux.
2- Sa grande noblesse et dignité émanant de toute sa personne et ce cachet particulier qu'il conservera jusque dans son cercueil.
3- La quantité d'oeuvres qu'il a fait surgir en si peu temps. Cela prouve qu'il était un Homme de Dieu.

Québec, le 20 juin 1943

Ma Révérende Mère.

Permettez-moi de venir bien humblement pleurer avec vous et votre Communauté le bon et saint Père Fondateur que Dieu vient de rappeler à Lui.

Quel homme... quel prêtre... quelle belle vie sacerdotale. Ah! je comprends les larmes que vous versez en ce moment sur ce cercueil fraîchement ouvert et qui trop tôt se refermera A' f tout jamais... Mais son heure était arrivée: après avoir été de si longues années à la tâche, au labeur souvent obscur et déprimant, le Bon Dieu a décidé de rappeler à Lui son fidèle serviteur et de le couronner dans son Ciel.

Certes, les larmes ne sont pas une faiblesse dans de telles circonstances, lorsqu'elles sont versées avec une si grande reconnaissance et une piété si filiale. Mais celui qui ici-bas s'est faite votre Providence, remplaçant sur terre d'une manière si visible et si sainte la divine Providence vous montrant continuellement r la voie à suivre, vous aidant à poursuivre votre vocation individuelle et la vocation de votre Communauté: ce bon et saut â Père, pourra-t-il vous avoir quittés à jamais?

Non, ma Révérende Mère, la foi nous enseigne que pour grand que soit sur terre votre dévouement à une ceuvre il n'est rien comparé au soutien et à la protection que peut lui apporter un élu du Ciel. C'est pourquoi, malgré la grande faiblesse de tout humain et surtout à cause de l'infinie miséricorde du Coeur de jésus, je vous demande d'espérer que déjà la belle âme du bon et révérend Mr Bouillon est en possession de la gloire et du repos.

(...) Ce matin, j'ai célébré la belle messe de la Sainte Trinité pour le repos de son âme. C'était la messe de suffrages et de reconnaissance de vos Missionnaires du Saint-Esprit. Au premier jour libre, je célébrerai de nouveau pour votre bien regretté défunt et à toutes vos intentions, espérant par là adoucir la peine de cette pénible épreuve et pour demander au Très-Haut qu'Il daigne avec bienveillance consacrer ce saint Fondateur et en faire à tout jamais l'Ange Conducteur, le Protecteur et en quelque sorte la Providence visible de votre Institut, de ses intérêts spirituels et temporels. Qu'il soit surtout le gage de vocations de plus en plus nombreuses, généreuses, héroïques même dans la famille religieuse dont il est le Père et dont il restera à tout jamais l'âme et le modèle.

Avec mes hommages et mon humble bénédiction en la sainte et glorieuse Trinité.

J.-Georges Gingras, ptre, St-Esprit de Québec.


Couvent du Saint-Rosaire
Rimouski, le 19 juin 1943.

Ma très chère Mère.

Veuillez agréer pour vous-même et pour vos pieuses filles mes religieuses et fraternelles sympathies et celles de ma Communauté dans le deuil profond où vous plonge la mort de votre vénéré Fondateur, le digne Messire A. Bouillon dont la carrière féconde et les sublimes vertus restent une éloquente prédication, une invitation pressante à suivre de près le Maître dans la voie des sacrifices obscurs et des secrètes immolations.

Ma très chère Mère, vous perdez ici-bas un conseiller, un père qui devient là-haut un médiateur, un protecteur dont le crédit vous est assuré, car ce prêtre selon le Coeur de Dieu, en servant de toutes ses énergies les intérêts du Seigneur a favorisé le respect de ses préceptes et le triomphe de ses droits.

Oui, votre Communauté a été le rêve de sa vie, l'oeuvre de son coeur! Au ciel sans doute il continuera à veiller sur elle, à la protéger, à la bénir.

Que la gerbe spirituelle que nous déposons sur sa tombe lui dise notre religieuse vénération, notre pieuse et immortelle reconnaissance pour les multiples bienfaits dont il a entouré ses petites ouvrières rosaristes et pour les mille témoignages de bienveillance qu'il a donnés à notre Communauté.

Avec l'expression renouvelée de nos condoléances sincères, veuillez avoir pour agréables les sentiments d'affectueux respect et de fraternel attachement de

Votre sympathique petite soeur en Jésus et Marie,

Soeur Marie de l'Annonciation, r.s.r. Supérieure générale.


Rimouski, le 20 juin 1943.

Révérende et chère Mère,

La mort vient de vous ravir ce que vous aviez de plus cher après Dieu: votre vénéré et saint Fondateur. C'est avec des coeurs bien fraternellement unis et compatissants que nous prenons part à votre deuil, car nous avons connu, nous aussi, la douleur de perdre un Père.

Dès que nous avons appris la triste nouvelle, nous nous sommes empressées d'unir nos suffrages aux vôtres pour le repos de son âme. II fut, au début de notre fondation à Rimouski, un de nos dévoués bienfaiteurs; nous lui devons donc une grande reconnaissance et un souvenir bien spécial dans nos prières.

En le recommandant à la communauté hier soir, notre révérend Père aumônier eut des paroles touchantes pour l'oeuvre admirable que ce digne prêtre fonda dans notre diocèse; il eut aussi, et cela nous fut sensible, un mot de tendre compassion pour votre communauté affligée et les obligations qui lui pèsent par suite de votre nouvelle installation, mais dans un grand sentiment de foi, il sut dire: " L'oeuvre marchera parce qu'elle vient de Dieu". Et nous qui savons par expérience combien le bon Dieu a pris soin de notre humble congrégation depuis la mort de notre cher Père Fondateur, et surtout combien nous le sentons encore vivant au milieu de nous par son esprit et ses enseignements, nous pouvons vous assurer que vous jouirez de la même protection de votre vénéré Père.

Votre cénacle, semblable à l'Eglise naissante, avait joui depuis sa fondation de la présence et des enseignements de celui que vous regrettez, mais comme Notre-Seigneur, l'heure devait sonner pour lui aussi de monter vers le Père; son coeur paternel devait vous dire: " Je m'en vais, mais je ne vous laisserai pas orphelines, je prierai le Père et Il vous enverra le Paraclet". Oh! déjà ce divin Esprit a assisté admirablement, malgré les grandes épreuves qu'elle a eues à subir comme toutes les oeuvres divines, votre jeune communauté; mais des jours remarquables de " pentecôte " ne lui sont-ils pas spécialement réservés, maintenant qu'elle entre dans une nouvelle phase de son existence, privée de la présence sensible de celui qui, poussé par le secours puissant de ce divin Esprit, lui avait donné la vie et le développement.

Puissent ces sentiments de notre admiration et de notre cordiale sympathie vous être un rayonnement de la consolation que le Coeur Eucharistique de jésus projette en ce moment sur toute votre chère famille religieuse.

Daignez agréer, révérende et chère Mère, ainsi que toutes vos filles, cette humble, mais bien sincère expression de notre fraternelle amitié en Jésus-Hostie et la Vierge-Mère, notre douce patronne. Nous les prions de vous bénir toutes et de vous consoler.

Dans la charité du Coeur Eucharistique, nous sommes vos religieusement dévouées.

Les Servantes de Jésus-Marie
par Soeur Marie-Madeleine,
Mère-Servante locale.

SEPT ANS APRÈS

" Vous le verrez, le coeur en joie; vos os, comme le regain reprendront vigueur " ( Is 66, 14 ) .

Depuis le décès de Messire Alexandre Bouillon, le Révérend Père joseph Roy, C.S.Sp., son successeur à la paroisse de Lac-au-Saumon, secondé par l'appui et la générosité des paroissiens songeaient à l'érection d'un monument d'une certaine stature au cimetière du Lac pour perpétuer la mémoire de cet Homme de Dieu.

Ce désir se réalisa le 30 juillet 1950, sous le pastorat du Révérend Père Daniel Barnabé, C.S.Sp., curé de la paroisse.

Au cours de l'été, un mausolée y fut construit où l'on déposa les restes mortels du vénéré et regretté Monsieur Bouillon.

La cérémonie se déroula en présence des révérends Pères Daniel Barnabé, C.S.Sp., Curé de la paroisse; Adolphe Poisson, C.S.Sp., Maitre des Novices Spiritains; Joseph Roy, C.S.Sp., Supérieur au Collège Saint-Alexandre de Limbour, Qué.; Georges Méthot, O.P., Prédicateur à la Villa du Rosaire, Montréal; Eugène Andlauer, C.S.Sp., Aumônier à la maison-mère des Servantes de Notre-Dame, Reine du Clergé; Emile Mais, C.S.Sp.; Jean Van Maastright, C.S.Sp.; C. Legallo, C.S.Sp.; de Messieurs les Clercs Spiritains; les révérendes Sueurs du Saint-Rosaire; les Servantes de NotreDame, Reine du Clergé et d'un grand nombre de paroissiens.

Le révérend Père joseph Roy, C.S.Sp., donna l'homélie.

Nous sommes réunis ici ce soir pour vénérer la mémoire de Monsieur l'abbé Alexandre Bouillon, père fondateur de votre paroisse et d'une Congrégation religieuse.

Pour ceux qui sont fidèles, Seigneur, la vie n'est pas enlevée, mais changée. En célébrant la mémoire de votre saint fondateur l'Eglise légitime ce culte d'honneur rendu aux morts parce qu'ils ont été associés au temple des défunts. Les êtres chers qui s'en vont ne sont pas oubliés et nous gravons leur nom sur le marbre afin de nous en souvenir longtemps. Disparus aux regards de la terre, ces morts veillent encore dans le ciel et sur ces tombes plane la douce espérance que nous les retrouverons là-haut. Cette demeure terrestre est détruite pour faire place à la demeure éternelle des cieux. Si douce que soit l'espérance que ces âmes reposent dans le Seigneur, l'Église nous demande encore de prier pour elles. " Souvenez-vous aussi, Seigneur, de vos serviteurs qui nous ont précédés et marqués du sceau de la foi et qui dorment a du sommeil de la paix. Accordez-leur Seigneur à eux et à tous ceux qui reposent dans le Christ, le lieu du rafraîchissement, de la lumière et de la paix. "

A l'ombre des grands arbres de ce cimetière repose un corps vénéré: la tombe du fondateur de la paroisse et d'une Congrégation religieuse qui couvre déjà une partie de l'Amérique. Il fut un saint Prêtre selon le coeur de Dieu, le fondateur d'une Congrégation qui est un joyau de notre Mère la sainte Eglise.

Le saint abbé Bouillon s'employa à harmoniser les volontés, à les unir, à favoriser l'union des tueurs afin d'ériger son église sur le site le plus convenable du lieu. Il logea le bon Dieu, l'école et fit fleurir toutes les organisations paroissiales.

L'abbé Bouillon était un prêtre modeste, plutôt porté à la vie retirée, à l'étude des beaux-arts, il maniait même le pinceau, il aimait la musique.

Il logea son cimetière de manière à faire penser qu'il est bon d'y dormir son dernier sommeil. Il ne se contenta pas d'établir des oeuvres matérielles, il avait le souci du soin des âmes; i1 établit des congrégations pieuses, créa un magnifique esprit paroissial, non l'esprit de clocher, mais cet esprit d'entente, de coopération qui fait que des fidèles travaillent ensemble à faire la prospérité spirituelle et matérielle de leur paroisse.

Vint un jour où l'épreuve descendit sur lui, épreuve douloureuse où il vit de la fenêtre de son presbytère se consumer sua église, son trésor avec les richesses qu'elle contenait. A partir de ce temps il garda empreint bien vivement sur ses traits les trace de cette épreuve.

Quelques années avant il avait jeté les bases de la Congrégation des Servantes de Notre-Dame, Reine du Clergé. Qui dira ce que cette Congrégation lui a coûté de sacrifices, d'argent, de démarches. Au début on disait: "Cette oeuvre est vouée à un échec." Au moment de sa mort la maison était établie et on trouve dans les différentes parties du Canada et des Etats-Unis des religieuses de cette communauté qui portent non seulement des fruits matériels, mais la bonne renommée de votre paroisse.

Ce monument restera à la mémoire fidèle de ce saint prêtre que vous prierez. Que personne ne parte de ce cimetière sans avoir demandé une grâce au saint Curé Bouillon. Du ciel il se réjouit de voir ses fils et ses filles marcher dans la voie de la vertu et de la vérité.

Reposez donc en paix saint fondateur du Lac-au-Saumon, de la Congrégation des Servantes de Notre-Dame, Reine du Clergé. Ne dites pas qu'il sommeille, dites: il voit ce qu'il a tant rêvé.

Mausolée où reposent les restes de l'Abbé Alexandre Bouillon

AUTRES TÉMOIGNAGES

Du Révérend Père Joseph Roy, C.S.Sp.

C'était vraiment un saint prêtre. Un esprit de pauvreté vraiment évangélique, un grand esprit de foi, une confiance illimitée dans la Providence. une piété édifiante, un zèle à toute épreuve.

Les paroissiens du Lac l'ont encore en grande vénération, et les prêtres qui l'ont connu le tiennent pour tel. Le bien ne fait pas de bruit. Il était un homme effacé, doux et paisible. Mais, c'est ainsi: la vertu ne fait pas d'éclat!

Montréal, le 13 mars 1967.

En faisant retour sur le passé, revoyant en pensée les nombreux prêtres que j'ai connus dans les deux diocèses de Rimouski et de Gaspé, je trouve que les fidèles de là-bas ont été favorisés de toute une légion de saints pasteurs.

Et cela, malgré les circonstances difficiles de leurs années du Grand Séminaire où il leur fallait, tout en poursuivant leurs études théologiques, faire enseignement et surveillance au petit Séminaire - sans doute devaient-ils beaucoup à l'atmosphère chrétienne de leurs familles. "Nous sommes les fils de saints", dit-on au livre de Tobie.

Montréal, le 29 février 1972.

Relation sur le vénéré Père-Fondateur: M. l'abbé Alexandre Bouillon, par le R. Père Eugène Andlauer, C.S.Sp., aumônier de 1941-1950, à la maison générale des Servantes de Notre-Dame, Reine du Clergé, Lac-au-Saumon.

Un témoin des dernières heures et du couronnement de ses oeuvres.

I - Premiers contacts
II- Collaboration
III - Derniers contacts

1. - PREMIERS CONTACTS

1 - Ce fut dans l'automne 1941 que j'ai a débarqué" au Lac-au-Saumon, avec le mandat de S. E. Mgr Georges Courchesne, évêque de Rimouski, d'être l'aumônier des Soeurs Servantes de Notre-Dame, Reine du Clergé. Voici ma première visite à M. le Curé: Dans le cadre d'un presbytère, construit par lui avec gofit, meublé avec sobriété, j'ai devant moi un bel échantillon de la création, plus spécialement de la Normandie, du pays et de la trempe de Thérèse de Lisieux; grand de taille, svelte, pas une livre de graisse inutile, teint coloré, de grands yeux bleus, des cheveux blonds et plats, de longues mains, comme faites pour de longues prières et de larges bénédictions. - L'accueil fut souriant, sa conversation allait bon train sur ses propres voyages - pèlerinages en Europe, parsemés d'anecdotes plaisantes qu'il ne se lassait pas d'évoquer dans les visites ultérieures.

A table, l'apiculteur-conseil m'offrit un excellent miel de son rucher, tout près du presbytère, de son jardin et de ses plantes ornementales et mellifères.

2 - Le Fondateur de Paroisses.
Les alentours du presbytère me révélaient le prêtre fondateur de paroisses. Une bergerie, un fenil, une grainerie pour recueillir la dîme et faire vivre leur pasteur. Ce pasteur a aimé ses brebis. Non seulement il les a appelés par leur nom, mais les a inscrits " Au Grand Jour", le livre de la fondation. D'abord desservant de cette paroisse naissante alors qu'il était vicaire à Amqui, il connaissait les événements historiques qui ont présidé à cette fondation: scieries en marche et terres à cultiver qui ont attiré Canadiens et Acadiens de proche et de loin. La bonne volonté des braves gens et l'habileté du jeune curé ont créé, par delà les difficultés, un bel esprit de famille paroissiale qui dure et qui a donné naissance à la paroisse fille, appelée aujourd'hui St. Alexandre des Lacs, du nom de son fondateur, Messire Alexandre Bouillon.

3 - Le Fondateur de congrégation religieuse.
A mon arrivée au " Vieux Cénacle " j'ai pu constater à loisir les deux instruments de choix du Seigneur remplis de foi et de zèle pour le salut des âmes. Celui qui avait sollicité de son Evêque la permission de fonder une communauté de religieuses pour subvenir aux besoins des presbytères, reçut une réponse favorable. Il l'accueillit comme un appel de Dieu dans son coeur, en toute simplicité, foi, courage. Ces mêmes vertus il les trouvait dans un coeur de mère qu'il jugeait capable, devant Dieu, de devenir fondatrice: Mademoiselle Marie-Anne Ouellet. La Providence avait travaillé cet outil. Tout en exerçant sa profession d'institutrice, elle servait au presbytère, elle aidait son frère à élever sa famille: elle avait goûté à la vie religieuse.

Grâce à leurs efforts visiblement bénis du ciel, à ma première visite au " Cénacle ", j'ai rencontré là une ruche bourdonnante d'une quarantaine de Religieuses, de Novices, de Postulantes, toutes pleines de ferveur. La majeure partie de leur journée était adonnée aux exercices de piété, le reste aux travaux de la maison et de la ferme. Le soin spirituel était assuré par M. le Curé ou M. le Vicaire ou un Aumônier temporaire, tel M. le Chanoine Joseph Perron.

La spiritualité du Père-Fondateur fut simple et solide, accessible à toutes et surtout fidèlement mise en pratique par toutes: foi dans la Providence, dans le Coeur de Jésus-Prêtre, dans l'intercession de Marie et de Joseph; un grand souci d'établir dans les presbytères une atmosphère de sainteté. Le Père-Fondateur déplorait quelque mondanité et luxe dans les presbytères, et il gémissait: on dirait que ces prêtres veulent y demeurer toujours. Donnez-nous, Seigneur, de nombreux et saints prêtres.

II. - COLLABORATION

Ce fut sans heurt et en harmonie avec le clergé, les paroissiens et les Religieuses que j'ai pu accomplir mon travail. Parfois nous avons échangé poste et fonction: le Père-Fondateur chez les Soeurs et moi à la paroisse. Les Dames Auxiliaires s'ingéniaient de leur mieux pour aider ici et là, notamment au Foyer et n'ont cessé de le faire depuis. Ces efforts de collaboration qui auraient pu être pleins d'embûches, ont eu la protection certaine de Marie, Reine du Clergé et de S. Joseph, son époux, père nourricier de la Sainte Famille.

III. - DERNIERS CONTACTS

La grande construction du Nouveau Cénacle et du Foyer intégré au haut de la colline, fut pour le Père-Fondateur l'assurance de la pérennité de son oeuvre.

Le jour de la Pentecôte 1943, descendant de la colline opposée, du Noviciat de la Congrégation du St-Esprit, en compagnie du Père-Fondateur, celui-ci me confia que ses forces allaient en s'épuisant et qu'il songeait à sa retraite bien méritée. Il s'était réservé une chambre qu'il me désigna dans la bâtisse dont les dimensions imposantes se découpaient à l'horizon en face de nous. En effet une aile devait servir de résidence aux prêtres retirés.

Jésus-Prêtre Souverain et Eternel avait prévu pour son fidèle serviteur une retraite infiniment meilleure et définitive. Ses oeuvres solidement établies pouvaient maintenant marcher seules. Encore actif à son poste à l'âge de 69 et demi voilà que le Seigneur vient à la rencontre de son prêtre. Il lui imprime une dernière ressemblance par une passion de trois jours. Une paralysie allait envahir toute sa personne et le tenir cloué là, toutefois après avoir pris ses dernières dispositions pour ses oeuvres.

St Joseph a dû se tenir tout près sans doute. Ce prêtre moribond ne lui a-t-il pas érigé un sanctuaire à mi-côte, sorte de première étape en vue de celui de Marie au haut de la colline. Les archives de la Congrégation gardent une quarantaine de lettres témoignant des faveurs reçues par l'intercession de St. Joseph.

D'une exactitude remarquable dans ses fonctions publiques, ainsi que dans sa piété privée, par exemple sa réception hebdomadaire du sacrement de pénitence, la sagesse et tendresse divine ont manifesté leur exactitude dans la dernière minute et seconde de son passage terrestre vers sa récompense: Vers l'heure de l'Angelus, étant son confesseur habituel j'entre chez lui: sa paralysie l'empêche de communiquer par le moindre signe, tandis que sa respiration a la régularité d'une machine en bonne fonction. Je lui dis: "Monsieur le Curé, je vous donne ce que j'aimerais recevoir si j'étais à votre place, le sacrement de pénitence." Après l'absolution, je récite le Notre Père; arrivé au milieu, donc "que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel", le souffle est coupé; coupée la trame d'une belle vie sacerdotale.

Messire Alexandre Bouillon fut sitrement un curé de paroisse ayant à coeur d'imiter son patron, le saint curé d'Ars dans sa pauvreté, sa piété, son zèle. En tant que fondateur de congrégation religieuse, il a suivi courageusement l'inspiration de l'EspritSaint et a donné à l'Eglise ces Soeurs Servantes de Notre-Dame, Reine du Clergé, pour le bien de ces autres Christs dont l'humanité a un besoin si urgent et si constant.

Montréal, ce 19 mars 1972.


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